Au sein de l’association des acteurs du numérique sur la Côte d’Azur, une communauté des acteurs de la e-santé a été réactivée récemment, coanimée par Pascal Staccini et Jean-François Carrasco. L’occasion pour la rédaction de prendre le pouls des principaux enjeux avec le professeur Staccini…

 

Pourriez-vous revenir sur l’historique de l’informatique en santé ?

 

Dans le domaine de la santé, l’informatique a débuté avec l’informatique hospitalière qui s’est d’abord intéressée à la gestion administrative à des fins de valorisation médico-économique. C’est important de le comprendre parce que c’est cet ancrage qui a guidé la façon dont l’informatique en santé s’est déployée par la suite. Quand on introduit le système informatique en milieu hospitalier en France vers la fin des années 80, on l’a tout de suite couplé avec le financement des hôpitaux. Par la suite, la tarification à l’activité (T2A) qui a été mise en place par la loi du 18 décembre 2003 a repris la même logique économique avec pour conséquence d’aboutir à un système informatique dont l’objectif est de compenser financièrement les hôpitaux. Chaque fois qu’un acte est réalisé sur le patient en milieu hospitalier (prescription de biologie, prescription d’imagerie, prescription de médicaments…), c’est tracé dans le système. Avec le temps d’autres approches se sont greffées, notamment le dossier patient médicalisé qui a ensuite infusé en médecine de ville.

 

Comment se positionne Telecom Valley sur cette question de la e-santé ?

 

La communauté e-santé a été créée il y a quelques années de cela et puis avait été mise en veille. Avec Jean-François Carrasco, on a décidé de la remettre sur pied avec une approche qui intéresse les membres de Telecom Valley. Avec Jean-François, on est des fous de la systémie. La e-santé ne va pas marcher si l’on n’a pas d’organisation de santé à mettre derrière. C’est un domaine très transversal et il est important de former les gens à cette interdisciplinarité. Il faut qu’on puisse prendre le problème dans son ensemble. J’ai vu trop de startups se mettre sur un créneau et se planter. Toutes ces solutions qui existent sous forme d’aide à la décision ont du mal à percer parce que ce n’est pas dans les usages des praticiens et il n’y a pas forcément besoin pour tous les patients d’une aide à la décision. Heureusement !

 

Quels principaux enjeux voyez-vous aujourd’hui ?

 

On manipule les données de santé depuis des années, depuis que le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) a été mis en place en 1987. La finalité au départ était économique et il n’y avait pas vraiment d’envie d’utiliser le PMSI pour faire de l’épidémiologie hospitalière. Un enjeu aujourd’hui porte sur la réutilisation des données de santé, parfois plusieurs années plus tard, et ça pose un problème de fond parce que ces données peuvent être utilisées dans une autre finalité que la finalité initiale. Où est la chaîne de consentement du patient dans une telle situation ?

 

Un autre enjeu important est un enjeu de coordination entre une grande diversité de plateformes d’échanges qui fournissent des solutions aux espaces de production de l’information (kinésithérapeutes, infirmières, médecins de ville…). Avant, l’informatique en santé était axée sur l’hôpital. Depuis, la médecine de ville l’a rattrapée et il y a beaucoup d’offreurs de solutions. Aujourd’hui tout le monde met un peu sa brique, c’est vraiment très segmenté. On numérise des parties de parcours de soins.

 

Il y a aussi une forme de mystification de l’IA en santé. Mais interrogeons-nous d’abord sur comment améliorer les pratiques ! Des choses simples. Si on pense à la téléconsultation par exemple, c’est quoi le process actuel ? Je prends rendez-vous, ok. Mais téléconsultation, ça veut dire que derrière, quelqu’un gère l’agenda du médecin. Qui ? Qui coordonne la prise de rendez-vous en ligne ? Qui coordonne l’agenda du praticien ? Comment savoir que tel praticien est disponible à tel moment ? Qui gère la visio ? Doctolib est en pointe sur ces sujets. Il a récemment développé son propre dossier patient en incluant les outils de télémédecine. Il se retrouve seul aujourd’hui sur le marché à gérer les ressources et les disponibilités.

 

 

Aucun doute. Le champ de l’amélioration des pratiques en santé va continuer pendant longtemps à être un vaste champ à e-investir…

Parution magazine N°45 (juin, juillet, août)
SophiaMag

3 juin 2024