« La raison d’être : StopCovid » : retours sur le webinaire organisé par Telecom Valley
Par Marion Rolland – le 12 juin 2020
Pour répondre à toutes les interrogations que se posent les Français sur la création et le fonctionnement de l’application « StopCovid », qui doit aider à lutter contre la propagation de la pandémie de Coronavirus, Telecom Valley a organisé un webinaire. Des experts de qualité ont été conviés pour animer cette conférence et étudier le problème de l’application sous tous ses aspects. Cédric O, le secrétaire d’État chargé du Numérique, s’est joint à eux.
L’aspect éthique et moral
« Ce qui m’interpelle dans le sujet du jour, c’est l’intitulé « la raison d’être ». Quelles seraient les raisons qui inciteraient les gens à télécharger cette application, cela ouvre un cas de conscience » entame Laurence Vanin, titulaire de la Chaire Smart City : Philosophie et Éthique.
Pour elle, il y a trois bonnes raisons de télécharger cette application : le souci de soi, la peur et la préservation d’autrui.
D’abord, parce que l’humain est vulnérable : « On se sentait un peu immortel, mais on s’est rendu compte qu’un petit virus pouvait s’en prendre à un grand nombre de citoyens » explique-t-elle. Cette application servirait à se protéger, par conséquent, la population pourrait vouloir la télécharger. Même si pour une partie des gens, la crise est déjà loin, « plus le danger s’éloigne et plus on a l’impression que la crise est finie […] mais il faut anticiper et penser à la deuxième vague. »
Ensuite, il y a la peur de perdre les personnes auxquelles on tient. Des proches qui pourraient être touchés : « On peut se rendre compte que cette application est utile. »
Et enfin, l’éveil de la citoyenneté participative et la volonté de protéger plus généralement ceux qui nous côtoient « cela pourrait donner envie de penser aux autres, aux vulnérables et aux fragiles et cela prendrait un aspect éthique. »
L’aspect juridique
« Le droit n’est pas le problème, mais le droit n’est pas non plus la solution » explique Marina Teller, directrice de la Chaire 3IA « Droit &IA ». D’un côté, cette application a été créée de manière à respecter les textes officiels (RGPD, utilisation des données privées, loi informatique des données, etc). D’un point de vue juridique, il n’y a aucun problème constaté. D’un autre côté, le droit n’est pas la solution, car StopCovid est un problème politique et non juridique : « La vraie question ne porte pas sur la qualification juridique des applications, en réalité, on trouve les solutions portant là-dessus. La vraie question porte sur l’acceptation sociale, sur les nouveaux dispositifs de surveillance et de contrôle des personnes. Et cette question-là, en premier ressort, doit être tranchée par la décision collective et nationale. »
L’aspect participatif
Pour le député Jean-Michel Mis, membre du Conseil National du Numérique, Stop Covid aura surtout permis une évolution sociétale du débat démocratique : « Les débats ont été faits aussi bien dans l’hémicycle […] que sur les réseaux sociaux de manière extrêmement vivante. Le débat est sorti du cadre naturel entre parlementaires » explique-t-il. Ce phénomène aura permis de mixer démocratie représentative et démocratie directe dont le but était de travailler pour l’intérêt commun. En effet, différents acteurs (scientifiques, experts, juridiques, autorité de régulation, politiques, etc) ont travaillé ensemble, sur de nouveaux sujets, éthiques, démocratiques et numériques. Pour le député, il faut tirer des leçons de cette histoire, « c’est la manière dont il faut anticiper les prochains enjeux sociétaux numériques et démocratiques. »
- Une palette impressionnante d’experts pour ce webinaire exceptionnel de Telecom Valley (DR MR Capture d’écran)
L’aspect technique
Peut-on avoir confiance en cette application ? C’est la question que beaucoup se posent. Vincent Roca, responsable de l’équipe-projet Privatics, qui a travaillé sur le protocole Robert (le protocole de fonctionnement de l’application et d’utilisation des données récoltées pour évaluer les risques), explique pourquoi celle-ci est sûre : « Il n’y a pas d’usage d’informations personnelles. Et l’application n’utilise pas les données des GPS ou autres systèmes de géolocalisations, ce serait trop intrusif et nous n’en avons de toute façon pas besoin. La détection se fait uniquement sur la base de la détection Bluetooth » indique l’expert.
Pour faire simple, StopCovid servira de détecteur de proximité, qui enverra tout simplement des messages (messages codés, qui changent toutes les 15 minutes, empêchant donc tout traçage) aux appareils alentours, créant des historiques sur les serveurs de l’application. Celle-ci va créer une sorte de ’’contact’’ avec les appareils qui partagent une connexion de longue durée. Si l’un des contacts vient à être testé positif au Covid, les serveurs de l’application pourront donc envoyer automatiquement un message de prévention à tous ces ’’contacts’’, pour les alerter de la situation et leur conseiller de rendre visite à leur médecin traitant « nous n’avons pas besoin de connaître les identités. C’est globalement comme ça que fonctionne l’application, nous avons essayé de minimiser les données récupérées » explique l’expert.
Micha Benoliel, Founder Coalition Network, San Fransisco, qui travaille en collaboration avec l’Inria sur le protocole Désiré (qui vise à décentraliser les données) partage l’idée de son collaborateur : « Le consortium Inria et l’État ont fait un bon choix en choisissant de ne pas utiliser une solution Google ou Apple. Mais aussi de choisir une application qui implique l’utilisation du Bluetooth, puisqu’il permet d’enregistrer les interactions entre les personnes de façon à protéger la vie privée, puisqu’on utilise des identifiants anonymes et aléatoires. »
Grâce au protocole Désiré, il serait possible de décentraliser les données stockées sur plusieurs différents serveurs « nous voulons vraiment créer une version qui veut protéger la vie privée des personnes » ajoute-t-il.
L’aspect étatique
L’application avait pour but d’aider à lutter contre la propagation du Covid-19. Mais au moment de sa conception, il était prévu que la pandémie mondiale soit plus importante : « Aujourd’hui, nous espérons ne plus en avoir besoin étant donné que l’épidémie diminue en France plus vite que ce qui était prévu » énonce Cédric O, secrétaire d’État chargé du Numérique. Si toutefois une seconde vague devait apparaître, il faudrait travailler sur différents facteurs, tels que l’industrialisation à grande échelle. Des questions auxquelles le gouvernement réfléchira d’ici quelques semaines. Puisqu’en effet, vu l’évolution de la situation, il se peut que l’application ne soit utilisée que dans certains secteurs géographiques afin de segmenter et cibler une part de population « si besoin, nous pourrons tout à fait mettre en place des ’’éditions Covid’’, c’est-à-dire, utiliser dans une certaine zone géographique si une région ou département venait à être de nouveau touché par le virus » explique le Secrétaire d’État. Par ailleurs, il promet une transparence, d’ici quelques jours, sur les modalités officielles d’utilisation de StopCovid ainsi que les chiffres et coûts du projet. Ainsi qu’un travail plus approfondi sur la création des Captcha* de l’application (actuellement créés par Google) « on va essayer, d’ici quelques semaines, de lancer un dispositif 100 % français » précise-t-il.
Cédric O tient à rappeler en conclusion de son intervention que « des équipes ont travaillé jour et nuit comme des chiens pendant deux mois, pour réaliser un projet nécessitant au mois un ou deux ans, et ce, gratuitement, pour créer un outil indispensable pour la santé. » Un message fort pour remercier tous ceux qui ont travaillé sur le projet.
Le replay du webinaire ci-dessous !