Le « Quartier latin des champs », sur la Côte d’Azur, parvient à encaisser les défaillances et les aléas conjoncturels. Il pèse 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, autant que le tourisme des Alpes-Maritimes.
C’est du jamais vu depuis dix ans. Sophia Antipolis, cette technopole née en 1969 du pari un peu fou de créer un « Quartier latin des champs » en mariant grandes écoles scientifiques et entreprises de pointe, a enregistré en 2021 un solde net de 1.500 emplois supplémentaires. Elle en compte désormais 40.000, un total jamais atteint. Même la crise sanitaire n’a pas eu raison de sa croissance. Cette année, selon les premières remontées du terrain enregistrées par le Symisa, le syndicat mixte qui gère la technopole, le solde devrait être compris entre 1.000 et 1.300.
Pour avoir une vue complète de la puissance de ce parc d’activités de 2.400 hectares qui s’étend sur cinq communes de la Côte d’Azur, à 20 km de Nice, il faut ajouter 10.000 chercheurs et étudiants. Au total, Sophia Antipolis pèse 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit un montant similaire à ce que génère le tourisme sur le littoral des Alpes-Maritimes.
« Spectre élargi »
Comment expliquer une telle résilience ? L’exemple d’Amadeus, leader mondial de la réservation de billets d’avion et premier employeur du parc avec près de 5.000 employés (4.200 salariés et 750 prestataires de services), fournit un élément de réponse. Après avoir laissé plusieurs centaines de personnes sur le carreau début 2020, le groupe a pu, lors de la reprise du trafic aérien, reconstituer rapidement ses forces en piochant dans le vivier local d’emplois qualifiés. Amadeus a déjà annoncé un nouveau plan de recrutement de 400 personnes en 2023, dont une majorité sur ses deux sites azuréens.
Résistante aux aléas extérieurs, Sophia Antipolis tient aussi le choc quand l’une de ses 2.500 entreprises, pour une raison ou une autre, met la clé sous la porte. Ces dernières années, plusieurs plans sociaux ont défrayé la chronique, comme ceux de Texas Instruments ou de Galderma. Seulement, « la technopole a atteint une telle masse critique que lorsqu’un acteur part, de nouveaux arrivent aussitôt et reprennent, parfois dans les mêmes locaux, les équipes libérées », relève Alexandre Follot, un énarque à la tête du syndicat mixte depuis sept ans. « On peut considérer que les 300 ou 400 emplois supprimés par Intel en 2017 ont donné naissance à 2.000 emplois aujourd’hui dans la technopole », illustre-t-il.
C’est une autre caractéristique de Sophia Antipolis : son écosystème se développe en suivant une logique de filières. Exemple dans l’automobile, qui constitue aujourd’hui un véritable cluster autour du design ou de l’électronique embarquée avec des constructeurs comme Renault, Toyota ou Mercedes, des équipementiers comme Bosch ou Magneti Marelli et des start-up. En la matière, la technopole s’est largement diversifiée.
« Au début, Sophia, c’était surtout des entreprises du secteur des télécoms, des microprocesseurs ou d’Internet. Aujourd’hui, le spectre s’est élargi à la biotech, à la fintech ou encore à l’intelligence artificielle », note Frédéric Brossard, coprésident de Telecom Valley, une association d’acteurs du numérique pionnière sur la technopole.
« Terreau très fertile »
De telles filières bénéficient de l’apport des structures scientifiques et académiques présentes sur le parc d’activités. Celles-ci, comme le centre de recherches de l’Inria, l’école d’ingénieurs Eurecom, celle des Mines ou l’Institut interdisciplinaire de l’intelligence artificielle (l’un des quatre 3IA labellisés en France), alimentent en matière grise le vivier d’entreprises ou la création de spin-off, comme Therapixel dans l’imagerie médicale ou Mycophyto dans la biologie.
La partie institutionnelle constitue un autre atout pour les acteurs locaux. Ils profitent des structures d’accueil et d’accompagnement mises en place par le Symisa. Géré par les communautés d’agglomération de Sophia Antipolis et de Cannes, la CCI, la région et le département, le syndicat mixte met à leur disposition un « business pôle » voué aux entreprises venues de l’extérieur ou aux start-up. Pour faire face à l’afflux, le gestionnaire du parc a entrepris la construction d’un nouveau pôle d’innovation qui va plus que doubler la capacité d’accueil à l’horizon 2025. Au Village by CA, un accélérateur qui a accompagné 65 entreprises en cinq ans, Aurélien Lallemant reconnaît que « les start-up trouvent ici un terreau très fertile pour se développer », mais il soulève la question de leur financement. « Pour lever des fonds, lâche-t-il, la province, c’est compliqué. »